C'est quoi l'abolitionnisme ?




L'ABOLITIONNISME est un mouvement apolitique et féministe qui propose de lutter contre le phénomène prostitutionnel de la manière suivante:

- Accompagner, être aux côtés des personnes prostituées

- Leur proposer une alternative à la prostitution

- Responsabiliser voire pénaliser les clients-prostituteurs

- Réprimer réellement les proxénètes

- Mettre en place des mesures de prévention et d'éducation

lundi 25 avril 2011

Ce que vous ne lirez JAMAIS dans la presse

Parmi les nombreux mais invisibles témoignages de prostituées, il y a celui de Stéphanie qui se bat pour que sa parole, celle de ses soeurs de galère, soit reconnue et entendue:



J’aimerais débuter avec une citation tirée d’un livre qui m’a profondément marquée et qui, je suis certaine, est connu de toutes et de tous. Ce livre est Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée [1].
J’observe les autres filles. Presque toutes des gosses, comme moi. Je vois qu’elles sont bien malheureuses. Surtout les toxicos qui doivent se prostituer pour pouvoir se piquer. Je lis le dégoût sur leur visage chaque fois qu’un micheton les touche, et pourtant elles se forcent à sourire. Je les méprise ces types qui se coulent lâchement dans la foule de ce hall de gare, cherchant de la chair fraîche du coin de leur œil allumé. Des idiots ou des pervers, sûrement. Quel plaisir peuvent-ils éprouver à se pieuter avec une fille totalement inconnue, que visiblement ça dégoûte, et dont il est impossible de ne pas voir la détresse.
Il n’existe malheureusement pas de terme spécifique pour les hommes qui achètent des "services sexuels". L’utilisation généralisée du terme d’apparence neutre de "clients" contribue à renforcer l’invisibilité et l’impunité accordée aux hommes qui se donnent le droit d’acheter le corps des femmes. Ce terme banalise également les rapports de pouvoir qui sont au cœur de la prostitution et la double hiérarchie sociale qui en découle : la domination des hommes sur les femmes (l’assujettissement des femmes aux hommes) et celle des classes riches sur les classes pauvres. C’est pourquoi plusieurs groupes abolitionnistes dont, vous l’aurez deviné, la CLES, utilisent le terme plus juste de "prostitueur" ou "client-prostitueur" qui met en lumière le rôle de ces hommes dans le maintien de cette institution patriarcale.
Les notions de "consentement" et de "choix" individuel ont été récupérées par le puissant lobby des "travailleurs du sexe" qui revendique au nom de la liberté sexuelle le "choix" que feraient certaines femmes d’entrer dans le système prostitutionnel. Si certaines femmes font effectivement le "choix" d’entrer dans le système prostitutionnel, ce choix n’est pas lié à leur liberté sexuelle, mais plutôt à des besoins d’ordre économique (qui sont souvent influencés par la société de consommation, capitalisme oblige, dans laquelle nous vivons).
La prostitution n’est pas une question de choix individuel ou de liberté sexuelle, mais bien une question sociale puisqu’elle concerne l’ensemble des femmes qui deviennent dès lors potentiellement toutes des objets sexuels, des produits, des marchandises, que l’on peut acheter, vendre ou louer. La prostitution ne peut par conséquent être réformée dans le but d’améliorer les conditions de sa pratique.
Le lobby des "travailleurs du sexe" ne fait certes pas la publicité du fait que celui qui a le choix dans ce marché est le client-prostitueur, car c’est lui qui décide et impose ses désirs et fantasmes en "achetant" le consentement des femmes (l’argent a cette faculté magique). Les femmes n’entrent pas dans la prostitution par "choix", mais plutôt par manque de choix. Elles méritent de véritables choix et non pas ceux que leur imposent, par exemple, l’industrie du sexe d’avoir à choisir entre le bordel, la pornographie, la rue, les agences, les salons de massage ou les clubs de danseuses.
Je suis franchement écœurée et dégoûtée d’entendre dire que la prostitution est un choix libre et rationnel, voire une alternative économique souhaitable. Je ne pensais jamais faire ce que j’appelle mon "coming out" (c’est-à-dire, dire publiquement que j’ai "travaillé" dans cette violente et vorace institution patriarcale qu’est l’industrie du sexe) et ça été une décision très difficile parce que je l’ai caché pendant si longtemps.
J’en ai tout simplement marre (et je suis vraiment frustrée, car je n’en crois pas mes oreilles) de ces intellectuelles et de tous ces groupes pro "travail du sexe" qui parlent en mon nom, et au nom de toutes celles qui font ou ont fait partie de cette industrie, pour vanter les mérites du "travail du sexe" et expliquer que ce n’est pas la prostitution qui est un problème, mais les conditions dans lesquelles elle est pratiquée et ces supposés quelques (comprendre peu nombreux) "mauvais clients".
Les groupes pro "travail du sexe" s’improvisent porte-parole de toutes les femmes exploitées dans cette industrie, mais ils ne sont en fait que le porte-parole d’une minorité de femmes prostituées et ignorent la majorité, dont je fais partie, que l’on entend normalement pas et qui ne peut ou ne souhaite (de peur d’être reconnue, de peur d’être davantage stigmatisée, jugée, de peur des représailles, etc.) s’exprimer. Il faut rester extrêmement vigilant•e face à ce discours qui dissimule le silence et la réalité de plus de 90% des femmes exploitées dans cette industrie.
En ce qui a trait aux clients-prostitueurs, vous pouvez imaginer que je ne pense pas de gentilles choses d’eux, mais ne voulant pas offenser les hommes ici présents, je ne répéterai pas les mots qui défilent présentement dans mon esprit. J’ai également consulté une dizaine d’amies qui sont encore dans les clubs ou qui n’y sont plus. Elles n’ont, elles non plus, rien de positif à dire sur ces hommes sinon que ce sont des "portefeuilles" qui nous exploitent et profitent de nous. À ce sujet, une copine sexuellement exploitée dans les clubs de danseuses m’a dit : Les hommes sont avides de sexe et d’objets sexuels. Ils sont tous différents, mais leur but commun est de voir des filles nues et de les toucher. Beaucoup sont irrespectueux et prêts à se mettre dans les problèmes pour franchir les limites de l’interdit. En d’autres mots, c’est des hypocrites qui laissent leurs femmes à la maison et qui viennent toucher d’autres filles pour lesquelles ils n’ont aucun respect... C’est pitoyable !.
Il faut comprendre que les pratiques demandées par les clients-prostitueurs sont multiples en plus d’être déshumanisantes, dégradantes, violentes et dangereuses. Les clients-prostitueurs exigent, presque toujours, de ne pas porter de capote. Ils ont très souvent recours à la violence et veulent reproduire ce qu’ils voient dans la pornographie (relations sado-masochistes, double pénétration, relations avec deux femmes, etc.) Ils veulent toujours plus pour toujours moins, c’est-à-dire qu’ils utilisent le chantage ou tout autre moyen pour soit faire baisser le prix ou soit obtenir des "services" que les femmes ne veulent pas ’faire’ comme, par exemple, la pénétration anale.
La pornographie et les médias, en plus de toujours repousser les normes de ce qui est socialement acceptable, encouragent les clients-prostitueurs à faire de nouvelles expériences, à essayer de nouveaux produits (femmes exotiques, transexuelles, enfants, etc.), à transgresser les limites de ce qui est possible ou permis. C’est pourquoi ils exigent et exploitent des femmes de plus en plus jeunes et considèrent que la "chair fraîche" est meilleure. Ils désirent vivre de multiples expériences, dont la plus récente et la plus promue par les agences d’escortes et les médias est la girlfriend experience (GFE) qui leur permet de passer un moment avec une femme qui prétendra être leur copine. Ce qui veut simplement dire qu’avant de baiser, ils iront au cinéma, au restaurant, etc.
Dans les clubs de danseuses, il est maintenant légalement possible, et socialement très accepté, de toucher les seins, les fesses, les jambes et les bras, c’est-à-dire la presque totalité du corps de ces femmes, à l’exception de leur partie génitale. Cette légalisation a entraîné de graves conséquences pour les "danseuses" en plus d’entraîner d’énormes transformations quant aux conditions de travail. Les "danseuses" sont dorénavant exposées quotidiennement à la violence sexuelle : elles se font embrasser, "lécher" "sucer" les seins, toucher les parties génitales, mordre, griffer, gifler, etc. Cette violence est pourtant banalisée, normalisée et comprise comme faisant partie du métier.
J’ai "dansé" sur une période s’échelonnant sur près de 14 ans et jusqu’à récemment je "dansais" encore. Je suis sidérée par la banalisation spectaculaire de cette industrie. "Danser" est aujourd’hui si banal et si glamour qu’on encourage fortement les femmes et les jeunes filles à aller essayer ou même à y "travailler" pendant leurs études.
Les médias et la culture populaire (la musique, la télévision, le cinéma, la radio, Internet) y font fréquemment référence et les clubs sont vus comme un lieu d’émancipation pour les femmes. On peut y garder sa forme physique (on fait de plus en plus la promotion de la danse-poteau). On peut être subversive en renversant les rôles de pouvoir (ce sont les femmes qui profiteraient supposément des hommes) et assez ridiculement, les femmes n’auraient plus besoin d’étudier en gestion, puisque "danser" permettrait aussi d’acquérir et développer d’habiles stratégies et techniques de vente empruntées directement au monde du commerce.
Mais sur quelle planète vivent-elles-ils ? La prostitution (danser), un métier comme un autre ? Mais elles-ils sont folles-fous, complètement taré.e.s.
J’aimerais vous rappeler, en citant l’extraordinaire Andrea Dworkin, ce qu’est la prostitution. Et le plus beau cadeau que vous pourriez me faire aujourd’hui est de conserver précieusement cette citation dans votre mémoire :
La prostitution : qu’est-ce que c’est ? C’est l’utilisation du corps d’une femme pour du sexe par un homme ; il donne de l’argent, il fait ce qu’il veut.
Dès que vous vous éloignez de ce que c’est réellement, vous vous éloignez du monde de la prostitution pour passer au monde des idées. Vous vous sentirez mieux ; ce sera plus facile ; c’est plus divertissant : il y a plein de choses à discuter, mais vous discuterez d’idées, pas de prostitution. La prostitution n’est pas une idée.
Comme l’a si merveilleusement exprimé Andrea, la prostitution est évidemment beaucoup plus facile à théoriser qu’à "exercer". Allez donc vous jeter dans cette industrie aux appétits vampiriques et revenez m’en parler par la suite, on verra bien ce que vous aurez alors à en dire.
Vous pouvez lire également ce qu'en disent Laurence, Fiona, Noémie, Myriam, Clara, Eliane, Julien, Raphaël, Naïma, Alicia, Anaïs, Laldja, Paolo, Aïssa, Adriana, Roselyne, Mylène, Monika ou Nadine.

mercredi 20 avril 2011

Les "clients" tremblent pour leurs petits privilèges

Texte de Claudine Legardinier publié dans Prostitution et Société. Avril 2011.

La pénalisation du prostitueur est inscrite dans une logique
progressiste : celle qui exige d’en finir avec les violences et
d’avancer vers l’égalité entre les femmes et les hommes. N’en déplaise
à tous les nostalgiques d’une France d’un autre âge excitée par le
frisson sulfureux des bordels et de la fille au trottoir.

400 pages détaillées, un projet politique cohérent, un courage
certain. Le rapport « L’exigence de responsabilité, en finir avec le
mythe du plus vieux métier du monde » constitue une avancée que nous
saluons.

Malheureusement, qu’en retiennent les médias et la rive gauche ? La
pénalisation des "clients", ceux qu’il est plus juste d’appeler les
prostitueurs pour leur rendre une visibilité qu’ils ont pris soin de
fuir pendant des siècles, jugeant plus commode de voir reporter la
"faute" sur celles qu’ils exploitaient. Un comédien riche et célèbre
profite de sa notoriété pour défendre ce qu’il considère apparemment
comme un droit de l’homme fondamental : le droit d’aller aux putes. On
a les combats que l’on peut.

Les violences subies par les prostituées, la peur au ventre, le valium
pour y aller, la traite des femmes et des gamines sur qui pèse la
survie des familles, qu’importe. On brandit ces étendards que sont "la
liberté individuelle" (la liberté de qui ?), on passe un peu de cirage
aux "femmes remarquables" que sont les prostituées. Sur ce point, nous
sommes d’accord, étant donné ce que proxos et "clients" leur font
subir. Car les prostitueurs sont les premiers agresseurs des personnes
prostituées qui vivent dans la crainte permanente de « tomber sur un
cinglé ». Violences, menace de violences, mépris, humiliations,
arnaques… C’est donc ce droit là qu’il faudrait défendre ?

Ce que ces messieurs exigent - quitte à le faire au nom du féminisme !
-, c’est le droit de passer leurs caprices sur le corps d’une femme,
d’en faire un territoire de défoulement, de continuer à faire leur
choix dans un immense magasin de jouets. Ce qu’ils revendiquent, c’est
une institution qui remet les femmes à leur place : au lit, pour leur
bon plaisir. Et sans compte à rendre.

Tous les arguments sont bons : misère sexuelle, solitude (ce que
réfutent les enquêtes qui montrent que le client est majoritairement
un homme lambda, marié et père de famille), clandestinité (désormais
surtout due au recours à Internet et au téléphone portable), risques
sanitaires.
Les pro prostitution, qui ont appuyé leur lobbying sur la lutte contre
le sida, ont surtout travaillé à banaliser le concept de "travail du
sexe", dont on voit le résultat en Europe : une explosion des bordels
industriels à haut débit où des centaines de femmes (de préférence
étrangères) sont livrées en pâture aux appétits sexuels prétendument
incontrôlables des hommes.

Il est temps de sortir de la complaisance. Une complaisance qui n’est
pas sans rappeler celle qui, il y a peu, entourait encore d’une
curieuse indulgence les chauffards. Comme les « accidents de la route
», tenus jadis pour une fatalité, sont devenus « la violence routière
», la prostitution est en train de se muer en « violence
prostitutionnelle ». Comme le mauvais conducteur a désormais à
répondre de son comportement, le client prostitueur, qui nourrit un
immense marché aux femmes, est aujourd’hui placé en face de ses
responsabilités.

Ce pas en avant est décisif pour nous qui travaillons à faire reculer
toutes les violences contre les femmes. Violences qui tiennent
ensemble : car s’il faut sauver le droit du prostitueur, il convient
en toute logique de dépénaliser le violeur, mu lui aussi par des
pulsions irrépressibles. Personne ne songerait à le faire, nous
l’espérons. En réalité, le séculaire droit sexuel masculin a du plomb
dans l’aile. Après la remise en cause du droit de cuissage (droit
obtenu par le pouvoir), du viol (droit obtenu par la force), vient en
toute logique la prostitution (droit conféré par l’argent).

La pénalisation du prostitueur constitue un élément parmi d’autres
d’une politique cohérente destinée à faire reculer l’une des plus
vieilles exploitations du monde. Vingt neuf autres mesures, dont
personne ne dit mot, sont préconisées par ce rapport très riche qui
mise sur la tombée en désuétude de la loi LSI sur le racolage :
mesures sociales, pédagogiques, lutte contre le sexisme, papiers pour
les prostituées étrangères, etc.

La pénalisation du prostitueur, qui n’en est qu’un maillon, est
inscrite dans une logique progressiste : celle qui exige d’en finir
avec les violences et d’avancer vers l’égalité entre les femmes et les
hommes. N’en déplaise à tous les nostalgiques d’une France d’un autre
âge excitée par le frisson sulfureux des bordels et de la fille au
trottoir.
Claudine Legardinier est journaliste, spécialiste des droits des femmes et de l'égalité des sexes et auteure, entre autres, d'une grande enquête sur les clients de la prostitution en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama.

samedi 16 avril 2011

Prostituées: les grands principes valent plus que leur peau

Je suis abolitionniste parce que j'aime les femmes, parce que leur souffrance me touche et me concerne, parce que la sexualité des hommes ne passera jamais devant les dommages subis par ne serait-ce qu'une seule femme au nom de cette sexualité, parce que je suis féministe.

On peut me dire ce qu'on veut: rien ne résiste à ce que rapporte celles et ceux qui cotoient les prostituées de près. Des femmes (et des hommes) souffrent, je ne verrai jamais rien d'autre que ça.

La souffrance des prostituées, de nombreux rapports en font part mais peu s'en soucient. On leur préfère les débats sur la liberté et la morale, le témoignage d'une romancière qui fait son intéressante (et plein de fric) sur le dos de celles qui, une fois la brèche ouverte, parlent de désespoir ou encore les vantardises déplacées d'un misogyne qui s'assume même pas dans un journal de machos décomplexés.

La docteure Judith Trinquart soigne les prostituées. Et si on écoutait ce qu'elle en dit ?

        Quels sont les besoins de santé réels de cette population ? 

Lorsqu’il est possible de s’isoler, on voit remonter une série de problèmes de santé, des séquelles de traumatismes anciens, aussi bien psychiques que physiques, des états infectieux, des dépistages négligés ; on constate une précarité de la santé mentale, des états dépressifs, des angoisses, des phobies... Il y a une grande autonégligence et un seuil de tolérance à la douleur effroyable.

Je me souviens d’un entretien avec une jeune femme toxicomane séropositive qui avait été obligée d’abandonner son enfant. Venue pour une entorse à la cheville, elle a complètement craqué ; elle a dit son désespoir de ne plus voir son enfant, la cruauté du milieu, son incroyable violence. A peine le petit espace d’intimité franchi, elle est repartie sourire aux lèvres, sans même boiter sur ses talons de 8 centimètres. La coupure était nette : surtout ne pas se montrer défaillante face aux animatrices, face aux copines. On en reste donc là.

Ce qui est également frappant, c’est que les personnes semblent plus en demande d’être « réparées » que soignées. Ce qui leur importe, c’est que la mécanique nécessaire à la prostitution continue de fonctionner. On ne sent pas d’irruption de la vie privée, de la personne, de désir de bien-être ; tout est rapporté à l’activité prostitutionnelle, au fait que le corps ne sert qu’à gagner de l’argent.

On a l’impression d’une carcéralité psychique, d’un enfermement dans un système ; ce qui n’entre pas dans ce système n’existe pas. On retrouve ces mêmes symptômes, qui font partie d’une stratégie de survie, chez d’autres populations victimes de violences, comme les femmes victimes de violences domestiques.

- Ce mauvais état de santé est-il en lien avec l’activité prostitutionnelle ?

Ces personnes vivent une dissociation profonde. Du fait qu’elle impose des actes sexuels non désirés à répétition, la prostitution engendre une forme d’anesthésie, d’abord au niveau de la sphère génitale, sexuelle, la plus exposée. Plus l’activité prostitutionnelle se prolonge, moins ce processus d’anesthésie est maitrisé, plus il devient réflexe ; peu à peu, il gagne l’ensemble du corps et les moments où la personne désirerait avoir des émotions, des affects.

C’est cette anesthésie, cet ensemble d’atteintes du schéma corporel, ce que j’appelle la « décorporalisation », qui conduisent à une grande autonégligence en matière de soins. Or, ce que défend la santé communautaire, c’est l’idée que l’aménagement des conditions de la prostitution, ou sa professionnalisation, règlerait les problèmes de santé. Mais ce ne sont pas ces conditions - même si bien sûr des violences de toutes sortes se surajoutent - mais bien la pratique prostitutionnelle en elle-même qui engendre ces symptômes.

- Que faire pour ces personnes ?

Si elles sont capables de supporter des situations de violence que personne ne pourrait tolérer, c’est qu’il s’agit pour elles d’un moyen de se cacher la violence antérieurement subie. Cette parole peut d’autant moins se libérer que la première personne à qui il faut cacher cette violence, c’est soi-même. Quand on a par exemple une suspicion d’antécédents de violences sexuelles, sujets qui ne peuvent être abordés dans les bus, il faudrait orienter les personnes vers des lieux d’écoute.

Ces lieux existent. Beaucoup d’associations font un travail remarquable. Ce qui manque, c’est une mise en réseau de l’ensemble des ressources. C’est aussi une formation élémentaire pour les professionnels du champ sanitaire, social et juridique ; la méconnaissance des antécédents et de la situation prostitutionnelle, de ce qu’elle représente au niveau du corps et du psychisme, est un énorme obstacle à une prise en charge de qualité.

Il faut des moyens et des ressources, proposer des solutions à long terme ; ne pas se contenter de faire de la réduction des risques, mais proposer des suivis psychothérapiques, des personnes accompagnantes, des formations adaptées pour les personnes prostituées.

- Et à long terme ?

Miser sur l’éducation à la sexualité, à l’humanité, à la communication, à la relation humaine. Il y a des pathologies différentes chez les clients, mais il s’agit le plus souvent d’une pathologie de la communication et de la relation homme/femme. L’éducation est à commencer le plus tôt possible, afin de faire comprendre que le recours à la prostitution n’est pas une forme de sexualité mais une violence.

Tout est rapporté au fait que le corps ne sert qu’à gagner de l’argent. On a l’impression d’un enfermement dans un système ; ce qui n’entre pas dans ce système n’existe pas.

Mais l’éducation ne suffit pas. Il manque, à l’image de l’expérience suédoise, des mesures coercitives pour faire comprendre qu’acheter ou louer le corps d’autrui dans la prostitution constitue une transgression. Par ailleurs, il ne faut pas s’arrêter à la barrière virtuelle des 18 ans. Il est temps d’être cohérent et cesser d’affirmer que la pédophilie est un acte horrible tout en continuant d’encourager la prostitution, présentée comme fonction sociale bienfaisante alors qu’elle n’est qu’un système de recyclage de ces violences.

On ne peut pas se battre contre l’inceste et la pédophilie si on pérennise le système prostitutionnel et si on autorise les gens à faire sur des adultes ce que l’on interdit sur des enfants. C’est une hypocrisie ; on reprend d’une main ce que l’on donne de l’autre.
        Interview issue de Prostitution et Société numéro 138 juillet – septembre 2002

mardi 5 avril 2011

Prostitution: changeons de mentalité

L'annonce du projet de loi de pénaliser les clients de la prostitution a déjà fait réfléchir certains et amorce d'ores et déjà une évolution des mentalités. La prise de conscience de tout ce que recouvre le recours aux prostituées est en marche et c'est encourageant. Voici ce qu'en dit un homme, ancien client, sur Le Post:




A l’annonce de cette proposition de pénalisation des clients des prostituées et depuis l’intervention de Mme Bachelot, on peut lire un nombre incalculable de post et article de presse sur le sujet. Si quelques uns semblent en accord avec cette proposition, beaucoup d’autres sont plus critiques, voire même totalement opposés. On remarque par exemple que les internautes interrogés sont contre cette proposition.
Les arguments invoqués sont invariablement les mêmes : la prostitution est le plus vieux métier du monde, elle permet d’éviter les viols, la légalisation permet un contrôle sanitaire et social des personnes prostituées, encadrer permet de contrôler les trafics d’êtres humains, que faire des prostituées qui ont choisi ce métier, encore une loi liberticide... Cela va même jusqu’à certains osant affirmer que la prostitution répond à besoin normal, une pulsion masculine qu’il est naturel de satisfaire !... J’en oublie et j’omets bien sûr de citer certains commentaires masculins assez déplacés...
Je suis totalement pour la pénalisation des clients. Et client, je l’ai été. Pour me justifier, j’ai également invoqué le manque, la solitude, etc. Je sais ce qu’est une relation tarifée et la différence qu’il y a avec le désir partagé par deux personnes.
J’ai compris pourquoi mon comportement était inacceptable et répréhensible. J’ai profité de la faiblesse d’une autre personne en croyant pouvoir me procurer le désir d’une femme. Et la question que pose cette proposition porte justement sur l’exploitation de la faiblesse d’autrui par quelqu’un d’autre, et l’homme en particulier.
Ne nous mentons pas, les prostituées militantes, même si elles font beaucoup de bruit, ne sont qu’une poignée. Pensez-vous que les prostituées qui sont dans des réseaux mafieux ou sous la coupe de macs ont la liberté de manifester et de donner de la voix ? Et ces prostituées là, silencieuses, ce sont celles qui arpentent en majorité les trottoirs de nos villes. La police annonce depuis plus de 10 ans qu’elles seraient 20 000 ; mais ils n’en savent rien. Surtout que les clandestines voyagent de ville en ville et de pays en pays. Notamment en Allemagne, pays où la prostitution est pourtant légale ! L’eldorado du proxénétisme finalement, où la police débarque dans les bordels lorsque les clients les appellent, mécontent d’une prestation !... effroyable, mais je l’ai vu de mes yeux dans un bordel allemand rempli d’africaines dont une seulement avait des papiers en règle.
Qui voudrait devenir prostituée ? Qui voudrait avoir 5, 10 ou 20 relations sexuelles par jour  avec de parfais inconnus ? Personne ne souhaite que sa fille, sa femme, sa sœur, son amie ne se prostitue. Les pires insultes ne sont pas « sale pute » ou encore « fils de pute » ? Une majorité de personne semble favorable à la prostitution et à sa légalisation alors que la population ne voit même pas en elle des personnes à part entière, des personnes fréquentables, des personnes comme les autres. Ce ne sont pas des victimes de la misère ou du crime organisé, mais ce ne sont que de vulgaires putes. Et les arguments comme « le plus vieux métier du monde », « cela répond à un besoin de la société », « cela permet d’éviter des viols » évitent à ceux qui les invoquent de remettre en question la manière dont la société (et notamment les hommes) considère la sexualité et les rapports humains.
Cette proposition de loi, j’espère, mettra fin à cette manière de penser. Mettre le client (le grand absent jusqu’alors du débat) en face de ces responsabilités dans l’exploitation du corps de l’autre est à mon avis essentielle. Car, nous ne pouvons pas accepter :
  • Que l’ont puisse asservir autrui ;
  • Que l’on trouve du plaisir dans la misère de l’autre ;
  • Que l’argent permette de disposer d’une personne quelle qu’elle soit ;
  • Que la France soit un pays où les proxénètes peuvent prospérer car la clientèle est abondante ;
  • Que la France est un pays où des personnes sont forcées de faire commerce de leur corps auprès de citoyens français pour rembourser leur dette ou pouvoir survivre ;
  • Que notre pays ne condamne pas toute forme d’esclavagisme, économique inclus.
Une prostituée disait avec raison : « aucune petite fille ne rêve de devenir prostituée ». Il ne tient qu’à nous de changer nos mentalités.

samedi 2 avril 2011

Réflexion d'inspiration zemmourienne

Si on nous retire jusqu'au droit de vendre ou de s'acheter une salope femme, 

que deviendra la société et, surtout, 

que deviendra la virilité, hein ?