C'est quoi l'abolitionnisme ?




L'ABOLITIONNISME est un mouvement apolitique et féministe qui propose de lutter contre le phénomène prostitutionnel de la manière suivante:

- Accompagner, être aux côtés des personnes prostituées

- Leur proposer une alternative à la prostitution

- Responsabiliser voire pénaliser les clients-prostituteurs

- Réprimer réellement les proxénètes

- Mettre en place des mesures de prévention et d'éducation

dimanche 22 mai 2011

Les pro-prostitution jouent le jeu du masculinisme

Lydia Cacho, dont j'avais parlé de la sortie de son ouvrage-enquête "Trafics de femmes", s'exprime dans le hors-série Charlie-Hebdo, "Le féminisme est l'avenir de l'homme" (judicieusement signalé par Emelire en bas de ce billet). 



Petite parenthèse: si les deux grandes thématiques qui divisent les féministes sont le voile et la prostitution, seule la question du voile fait consensus parmi les interviews qu'on y trouve. Pas de Christine Delphy, donc, par exemple (enfin si ... mais pour affirmer qu'elle a trahi la cause féministe). Par contre, concernant la prostitution, Virginie Despentes ou Odile Buisson donnent amplement leur avis. La tribune qui leur est offerte laisse à penser que la défense de la prostitution est une option féministe. Fin de la parenthèse.

Enfin, non. Transition plutôt. Car, l'intervention de Lydia Cacho, heureusement, rappelle que la prostitution est le contraire de l'émancipation féminine que certaines lui attribuent. Plusieurs extraits sont à ce titre parlants.

A propos du libre-arbitre, malhonnêtement récupéré par les pro-prostitution et le lobby proxénète:

Avant de commencer cette enquête, je pensais, comme beaucoup de monde, qu'il serait assez facile de faire le distingo entre les femmes adultes victimes de violence et celles qui travaillent dans la prostitution par choix. Au début, beaucoup des prostituées que j'ai interrogées m'ont déclaré qu'elles étaient là librement, et il n'y avait aucune preuve claire d'exploitation. Mais, au cours des entretiens, quand elles parlaient de leur vie, elles racontaient les violences sexuelles qu'elles subissaient au quotidien et qui les conditionnaient à se soumettre. Finalement, cela m'a amenée à leur demander: si vous aviez le choix d'étudier, d'avoir la Sécurité sociale, que choisiriez-vous, la prostitution ou un autre emploi ? Toutes m'ont répondu: un autre emploi.
Sur le discours des intellectuel.le.s pro-prostitution:
Ce qui est amusant, c'est que quand j'ai demandé à plusieurs universitaires européennes, toutes avec un doctorat, un bureau élégant et une maison confortable, et toutes en faveur de la légalisation de la prostitution et de sa reconnaissance en tant que "travail", si elles se livreraient à la prostitution puisqu'elles considéraient que c'était une profession digne, elles m'ont répondu non. " C'est différent" affirment-elles ...
La prostitution, c'est pour les "autres" mais ces "autres" ne la pratiqueraient pas plus si elles avaient le choix. Alors, à qui profite-t-elle, cette activité ?


Un élément de réponse:
Ce sont les clients de la prostitution qui m'ont aidée à en prendre conscience. Je me suis déguisée en prostituée dans plusieurs pays pour discuter avec eux dans les bars. Un Américain m'a dit que les féministes avaient "abîmé le sexe pour les hommes", parce qu'elles voulaient l'égalité, alors que ce que les hommes veulent, en matière de sexe, c'est "'avoir le contrôle". J'ai donc commencé à poser à tous les hommes la même question sur ce contrôle. Et j'ai compris pourquoi tant d'Européens, d'Américains et de Canadiens font du tourisme sexuel en Amérique Latine et en Asie, en cherchant des femmes soumises, obéissantes: tout simplement pour retrouver le modèle machiste de la femme-objet.
Résumons: la prostitution n'est finalement assumée ni par les intellectuelles qui la défendent ni par les femmes qui la vivent mais est profitable au macho, furieux de l'égalité femmes/hommes qui s'amorce. Et certaines appellent ça un projet féministe, une émancipation de la classe des femmes. Personnellement, quand seuls les intérêts masculins sont défendus, j'aurais tendance à parler de masculinisme. La question du débat, pour ou contre, peut se poser mais elle oppose deux visions antinomiques et asymétriques: le féminisme (pour une égalité réelle entre les sexes) et le masculinisme (pour une inégalité marquée entre les sexes et un traitement différencié).

lundi 2 mai 2011

Désastre.s de la légalisation

Puisque nous sommes passé.e.s d'une polémique sur la pénalisation des prostitueurs à l'éloge de la légalisation de la prostitution, pourquoi ne pas regarder de plus près les bilans concernant cette dernière ? Le système suédois n'est pas parfait mais il reste quand même loin de ça:

- Les liens entre prostitution et crime organisé
Ils n’ont pas diminué. Des rapports australiens et néerlandais montrent au contraire que la légalisation, sous bien des aspects, a renforcé ces liens.
L’ONG Project respect estime que des bordels légaux du Victoria utilisent des femmes trafiquées. Un institut australien de criminologie évalue à un million de dollars par semaine les revenus de la prostitution illégale. Selon l’australienne Sheila Jeffreys, loin de faire reculer le crime organisé, la légalisation a entraîné une explosion des trafics criminels de femmes ; et des criminels condamnés conservent leur rôle dans le business, couverts par des personnes plus honorables.
En octobre 2003, la mairie d’Amsterdam a décidé de fermer la zone de tolérance ouverte à la prostitution de rue. Le maire a invoqué "un dilemme diabolique" en expliquant qu’il "apparaissait impossible de créer pour les femmes prostituées une zone saine et contrôlable qui ne soit pas récupérée par le crime organisé." En 2007, la municipalité d’Amsterdam se lance dans une profonde et coûteuse opération de rachat des bordels du quartier rouge afin d’amener la restructuration du quartier : un constat d’échec sans appel.
- L’industrie du sexe en pleine croissance
Alors qu’on a voulu contrôler l’industrie, on n’a fait qu’en encourager la croissance. Dans l’état de Victoria, les bordels légaux sont passés de 40 en 1989 à 94 en 1999.
Il semble que la légalisation ait fait la preuve de son échec pour éradiquer les trafics. Les premières raisons en seraient les difficultés de contrôle et le manque de moyens donnés aux autorités locales. Comme l’explique l’américaine Janice Raymond : "En Nouvelles Galles du Sud, les bordels ont été décriminalisés en 1995. En 1999, leur nombre à Sydney a augmenté de façon exponentielle jusqu’à 400/500. L’immense majorité n’ont pas de licence. Pour en finir avec la corruption endémique de la police, le contrôle de la prostitution illégale est passé de ses mains à celles des mairies ; celles ci n’ont jamais l’argent ni le personnel nécessaires pour envoyer des contrôleurs dans les bordels et poursuivre les opérateurs illégaux."
La légalisation des bordels place une charge administrative considérable sur les autorités locales. Bien qu’il soit exigé légalement que des inspecteurs contrôlent régulièrement les établissements, il est évident que c’est loin d’être toujours le cas.
- La prostitution illégale
Le problème inhérent à la légalisation est qu’il légalise un seul secteur de la prostitution. Quand ce secteur se développe, le secteur illégal en fait autant, que ce soit les bordels illégaux ou la prostitution de rue.
La légalisation ne fait pas disparaître la prostitution de rue ni les dangers qui y sont liés. On a même enregistré une augmentation significative dans le Victoria avec des niveaux plus élevés de viols et de violences.
De même, les bordels légaux tendent à être pris en main par les entrepreneurs de l’industrie du sexe et il n’est pas facile pour les femmes elles-mêmes d’organiser et de maintenir des collectifs de prostituées.
Les estimations de la police et de l’industrie du sexe légale établissent le nombre des bordels illégaux en Victoria à 400, soit quatre fois plus que les légaux.
De leur côté, les Pays-Bas ont souffert de divers inconvénients de la loi : le déplacement des lieux de prostitution vers des zones où les contrôles sont moindres ; le retour au secteur illégal d’opérateurs légaux qui ont fermé leurs établissements face aux obligations règlementaires ; l’utilisation de prête-nom par des exploitants connus de la police et donc dans l’incapacité d’obtenir des licences en leur nom propre.
- La prostitution des enfants
La prostitution enfantine a connu une croissance certaine ces dix dernières années aux Pays-Bas. L’organisation des droits de l’enfant à Amsterdam estime qu’il y a aujourd’hui plus de 15.000 enfants, en majorité des filles, dans la prostitution, soit une augmentation de +11 000 depuis 1996. 5000 d’entre eux proviendraient de l’étranger, notamment du Nigéria.
- Taxes et revenus, un solde négatif
L’évasion des taxes est la situation la plus courante. En Australie, sur 22 500 "travailleuses du sexe", 3.699 payaient les taxes légales selon une étude de 2002. On estime les pertes du gouvernement à 100 millions de dollars australiens par an. Aux Pays-bas, seulement 5 à 10% des prostituées paient les taxes légales, selon le centre d’information sur la prostitution d’Amsterdam (2003).

La situation pour les personnes prostituées

- Une violence omniprésente, endémique
La violence contre les femmes ne semble avoir diminué ni aux Pays-Bas ni dans le Victoria depuis la légalisation, et tout laisse même penser qu’elle a augmenté.
Un rapport de l’Institut Australien de Criminologie concluait en 1990 que beaucoup de prostituées couraient de grands risques de violence dans les bordels légaux.
Une étude de 1994 établissait qu’un pourcentage significatif de prostituées se sentait en insécurité avec les clients, parfois ou souvent. Dans les mêmes années, le Collectif de Prostituées de Victoria (PCV) recevait 15 plaintes pour viol et violences contre les prostituées chaque semaine. Beaucoup de femmes des bordels illégaux du Victoria disaient ne pas porter plainte auprès de la police, de peur d’être interpellées ou jetées en prison.
Une étude néerlandaise a montré que 79% des femmes en situation de prostitution disaient s’y trouver poussées par une forme ou une autre de contrainte (Institut de recherche socio-sexologique, 2000)
- La santé en péril
Depuis les changements légaux intervenus dans l’industrie du sexe dans le Queensland en 1992, les dangers semblent avoir augmenté dans ce domaine.
D’une part, le PCV, association d’aide aux prostituées, a montré que les contrôles accrus avaient poussé beaucoup de femmes dans le secteur illégal, où il y avait un risque plus grand d’infection par le HIV, et un accès limité au collectif et à son aide.
En 1990, un rapport de l’Institut Australien de Criminologie montrait que les femmes prostituées du secteur légal couraient de hauts risques d’infection au HIV à cause de la pression des clients mais aussi des patrons de bordels pour des rapports sans préservatifs. En 1998, une étude menée à Melbourne donnait le chiffre de 40 % de clients ayant des rapports avec des prostituées sans utiliser de préservatif.
Dans le Victoria, entre 2000 et 2002, on a enregistré une augmentation de 91% du nombre de femmes présentant une infection au HIV, pour une augmentation de 56 % dans la population globale.
- Le stigmate
La légalisation ne parvient pas non plus à régler le problème du stigmate qui pèse sur les personnes prostituées, malgré tous les arguments en ce sens.
Selon des prostituées néerlandaises, loin d’enlever le stigmate, la légalisation les rend plus vulnérables en les contraignant à renoncer à leur anonymat.
Selon une étude effectuée à Amsterdam, les prostituées qui se présentent comme des travailleuses indépendantes découvrent que les banques et les compagnies d’assurances leur refusent toujours leurs services.
Ainsi, bien que la question des droits des prostituées dans le cadre de leur travail soit souvent avancée comme une raison de légaliser, beaucoup de femmes ne se font pas enregistrer et continuent d’opérer illégalement.
- Et les clients ?
La légalisation encourage la demande ; on estime à 60 000 le nombre de visites aux bordels légaux dans le Victoria chaque semaine, pour une dépense moyenne de 7 millions de dollars. En 1983, il y avait 149 bordels connus dans cet état ; la police l’estime aujourd’hui à 95 légaux et 400 illégaux. Le nombre d’agences d’escorte est également en augmentation, on estime à 5000 le nombre de femmes y travaillant.
Selon l’association australienne PCV, un des pires aspects de la prostitution en bordel était la violence des clients (1999). Les femmes prostituées ont également constaté après la légalisation un comportement de plus en plus audacieux des hommes à leur égard.
Les bordels légalisés encouragent le tourisme sexuel. Amsterdam est ainsi la capitale de ce tourisme en Europe.
- L’aide aux personnes prostituées
Globalement, on estime que les criminels s’arrangent pour garder les prostituées hors du secteur légal, le gain financier étant plus conséquent. Cet éclatement des activités pose des problèmes pour l’application de la loi mais aussi pour fournir aux personnes prostituées aide médicale et services de travail social.
La normalisation conduit également à la réduction des services d’aide offerts aux personnes prostituées dans la mesure où les propriétaires de bordels ont tendance à les restreindre.
De plus, une enquête de 1990 de l’Institut Australien de Criminologie révélait que les femmes prostituées étaient sujettes dans les bordels légaux à un système d’amendes (que ce soit pour un retard ou des jambes non épilées...) et que les opérateurs prélevaient plus de 60 % des sommes versées par les clients.
- La sortie de prostitution
Le rapport australien montre que, malgré les promesses des municipalités, les stratégies promises d’aide à la sortie de prostitution n’ont pas vu le jour. Une recherche néerlandaise conclut en 2003 à une forte demande pour de tels programmes aux Pays-Bas : des prostituées des Pays-Bas souhaiteraient des programmes leur permettant de quitter la prostitution.
On peut penser que plus la légitimité de l’industrie avance, moins il existe de soutien pour les programmes permettant de quitter la prostitution. Il est clair en outre que bien peu de ces services sont proposés aux femmes hors rue, bien que deux tiers soient dans l’illégalité et que l’on sache qu’elles y vivent toujours sous contrainte.
Pour celles et ceux qui souhaitent poser un regard éclairé sur la situation: le rapport d'évaluation de la loi suédoise  que j'ai trouvé sur le très documenté blog de Lora et le texte en entier (dont est issu l'extrait ci-dessus) concernant le bilan de la légalisation.