C'est quoi l'abolitionnisme ?




L'ABOLITIONNISME est un mouvement apolitique et féministe qui propose de lutter contre le phénomène prostitutionnel de la manière suivante:

- Accompagner, être aux côtés des personnes prostituées

- Leur proposer une alternative à la prostitution

- Responsabiliser voire pénaliser les clients-prostituteurs

- Réprimer réellement les proxénètes

- Mettre en place des mesures de prévention et d'éducation

dimanche 5 février 2012

Prostitution en hausse, pourquoi ?

Voici deux extraits d'articles récents traitant pour le premier de l'expansion de la prostitution dans le monde ainsi que des raisons de cette expansion (à retrouver ici) et, en guise de suite logique, des ravages de la politique règlementariste aux Pays-Bas pour le second (l'intégralité ici) :

Elle rapporte des milliards, concerne à 80% des femmes et des millions de mineurs sous l'emprise du crime organisé: la prostitution est en pleine expansion au niveau mondial, s'alarme le "Rapport mondial sur l'exploitation sexuelle" de la Fondation Scelles.
"La prostitution a atteint une dimension industrielle et planétaire des plus inquiétantes", concernant aujourd'hui de 40 à 42 millions de personnes, dont 90% "dépendraient d'un proxénète", explique le document de 210 pages, en vente en librairie (éditions Economica).
Yves Charpenel, président de cette fondation française luttant contre la prostitution, constate cette "explosion de la prostitution depuis une dizaine d'années".
Les raisons sont connues: misère, guerres, problèmes familiaux... En Moldavie par exemple, pays extrêmement pauvre, 70% des femmes de 15 à 25 ans se sont prostituées au moins une fois, selon lui.
Le phénomène pose "la question du statut de la femme qui", même en Occident, "se trouve infériorisé par rapport à celui de l'homme", souligne le rapport.
Autres facteurs aggravants, le développement d'internet et du téléphone portable (anonymat des clients et des proxénètes), et "l'hypersexualisation" des sociétés menant à la "marchandisation" des corps.
Cette "marchandisation" rime souvent avec traite des êtres humains, kidnappés par des proxénètes ou vendus par leurs familles.
Qui dit traite dit réseaux organisés.
"Les groupes du crime organisé sont les premiers bénéficiaires" de la prostitution, assène le rapport, avec des profits annuels estimés à 27,8 milliards de dollars, en troisième position derrière les trafics de drogue et d'armes.
La prostitution est avant tout "une affaire d'argent" et recouvre très souvent "des réalités humaines inimaginables", raconte M. Charpenel, magistrat et ex-procureur spécialisé dans la lutte contre le crime organisé, qui évoque "la démolition physique et psychologique créée par ce travail à la chaîne" où "le client préfère majoritairement consommer sans protection".
"On est loin du libertinage. L'essentiel de la prostitution est une prostitution de contrainte, mot pudique pour ne pas dire violence", poursuit le magistrat.
Il n'existe pas de mafia structurée à l'échelle mondiale, mais plutôt des petits groupes organisés s'achetant et se revendant des proies, qui passent d'abord par des "circuits de dressage": "On les viole, on les drogue (...) et ensuite on les fait tourner" d'un pays à l'autre, le client se lassant vite, soupire M. Charpenel.
Les jeunes forment l'énorme majorité du contingent: 75% des prostitués "auraient entre 13 et 25 ans" et deux à trois millions sont mineurs, selon le rapport.
Pire, "environ 50% des personnes concernées ont commencé la prostitution en étant mineures. L'âge moyen d'entrée dans la prostitution est de 13 à 14 ans au niveau mondial" et le phénomène est "en pleine augmentation", d'après M. Charpenel. "Les enfants sont un produit qui se vend bien. Et un mineur sera forcément plus vulnérable."
Le magistrat préconise l'abolition de la prostitution et la pénalisation des clients, comme en Suède, avec pour résultat une baisse du nombre de personnes prostituées et un départ des réseaux vers l'étranger.
La légalisation, tentée en Espagne, en Allemagne ou encore en Australie, "ça ne marche pas", martèle M. Charpenel: "Cela ne change pas grand-chose à la réalité du métier, et la demande et le nombre de personnes prostituées augmentent."
Le rapport n'est guère optimiste: "L'inefficacité des politiques menées", "l'appauvrissement croissant des populations" et "une crise économique endémique" laissent craindre "une forte augmentation tant du nombre des victimes d'exploitation sexuelle que des profits" dans les prochaines années.
© 2012 AFP
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Prostituée, une profession comme une autre

Sexe et prostitution sont un autre domaine faisant fantasmer les tenants du modèle ouvert néerlandais. Depuis 2000, la prostitution est une industrie légale aux Pays-Bas, avec ses patrons nommés pudiquement “exploitants d’entreprise de relaxation”, d’ailleurs rassemblés dans une association professionnelle.  Avec ses “travailleurs et travailleuses du sexe” indépendant(e)s ou salarié(e)s payant des taxes et des contributions sociales. Les 25.000 à 30.000 personnes de cette "industrie" engendrent un chiffre d’affaire d’environ un milliard d’euros.

La profession est ouverte à toute personne majeure de 21 ans au moins, y compris aux ressortissants des Etats-membres de l’Union européenne, à l’exception des Roumains et des Bulgares qui ne peuvent exercer qu’en tant qu’indépendants, en raison du moratoire existant aux Pays-Bas sur le libre travail des personnes originaires de ces deux pays.
La personne - homme ou femme - qui veut se lancer dans ce type d’activité, en tant que travailleur ou employeur, trouvera une mine d’informations utiles sur le site "prostitutie". Mais, en réalité, les patrons du commerce du sexe salarient rarement leurs employé(e)s.

Et alors que la loi avait été promulguée afin de casser le lien entre prostitution et criminalité, on ne peut que constater un renforcement de ce lien derrière une “façade légale”.

L’équipe contre le trafic des êtres humains d’Amsterdam compte 7 membres... Et son chef, Harold van Gelder admettait devant les caméras d'Al Jazeera en octobre dernier que “personne ne sait combien de prostituées travaillent à Amsterdam". Il précisait: “c’est une profession légale, si vous suivez les règles, la police ne va pas vous embêter”. Mais il avoue aussi qu’il ne “voit probablement que le sommet de l’iceberg”.

Trafics d’êtres humains  

C’est ce que confirment les organisations de lutte contre le trafic des êtres humains, comme CoMensha, à laquelle les services de police ont l’obligation de communiquer toute victime possible d’un réseau. CoMensha dénonce une augmentation vertigineuse du nombre de victimes de réseaux de trafics d’êtres humains identifiés aux Pays-Bas: alors qu’il était d’environ 200 en 2004, l'association constate qu’il est passé à 1.056 en 2010 !

Les pays d’origine de ces victimes sont, par ordre décroissant, les Pays-Bas, le Nigéria, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie, le Sierra Leone, la Guinée, la Chine et le Ghana. Au total, 83 nationalités ont été identifiées par l’association.

Parmi les 1.056 victimes de 2010, 797 travaillaient dans le secteur de la prostitution! Et 49 d’entre elles seulement étaient des hommes. Il est d’autant plus difficile d’identifier ces travailleurs du sexe que certains d’entre eux travaillent dans la rue ou au domicile privé de leur “exploitant”.

15.000 enfants prostitués

La prostitution enfantine a également augmenté aux Pays-Bas. Le site "Pour une société sans prostitution" affirme:
La prostitution enfantine a connu une croissance certaine ces dix dernières années aux Pays-Bas. L’organisation des droits de l’enfant à Amsterdam estime qu’il y a aujourd’hui plus de 15.000 enfants, en majorité des filles, dans la prostitution, soit une augmentation de 11.000 depuis 1996. 5.000 d’entre eux proviendraient de l’étranger, notamment du Nigéria.” 
Et le bénéfice de la légalisation pour le fisc est dérisoire, puisque seuls 5 à 10 % des personnes prostituées ou de leurs exploitants paient régulièrement leurs impôts.

Le site rappelle aussi que la violence est endémique des milieux exploitant la prostitution. Dans une enquête réalisée en 2000 par l’institut sexo-sociologique, 79 % des femmes interrogées faisaient état d’une forme de violence pour les contraindre à se prostituer.

dimanche 22 mai 2011

Les pro-prostitution jouent le jeu du masculinisme

Lydia Cacho, dont j'avais parlé de la sortie de son ouvrage-enquête "Trafics de femmes", s'exprime dans le hors-série Charlie-Hebdo, "Le féminisme est l'avenir de l'homme" (judicieusement signalé par Emelire en bas de ce billet). 



Petite parenthèse: si les deux grandes thématiques qui divisent les féministes sont le voile et la prostitution, seule la question du voile fait consensus parmi les interviews qu'on y trouve. Pas de Christine Delphy, donc, par exemple (enfin si ... mais pour affirmer qu'elle a trahi la cause féministe). Par contre, concernant la prostitution, Virginie Despentes ou Odile Buisson donnent amplement leur avis. La tribune qui leur est offerte laisse à penser que la défense de la prostitution est une option féministe. Fin de la parenthèse.

Enfin, non. Transition plutôt. Car, l'intervention de Lydia Cacho, heureusement, rappelle que la prostitution est le contraire de l'émancipation féminine que certaines lui attribuent. Plusieurs extraits sont à ce titre parlants.

A propos du libre-arbitre, malhonnêtement récupéré par les pro-prostitution et le lobby proxénète:

Avant de commencer cette enquête, je pensais, comme beaucoup de monde, qu'il serait assez facile de faire le distingo entre les femmes adultes victimes de violence et celles qui travaillent dans la prostitution par choix. Au début, beaucoup des prostituées que j'ai interrogées m'ont déclaré qu'elles étaient là librement, et il n'y avait aucune preuve claire d'exploitation. Mais, au cours des entretiens, quand elles parlaient de leur vie, elles racontaient les violences sexuelles qu'elles subissaient au quotidien et qui les conditionnaient à se soumettre. Finalement, cela m'a amenée à leur demander: si vous aviez le choix d'étudier, d'avoir la Sécurité sociale, que choisiriez-vous, la prostitution ou un autre emploi ? Toutes m'ont répondu: un autre emploi.
Sur le discours des intellectuel.le.s pro-prostitution:
Ce qui est amusant, c'est que quand j'ai demandé à plusieurs universitaires européennes, toutes avec un doctorat, un bureau élégant et une maison confortable, et toutes en faveur de la légalisation de la prostitution et de sa reconnaissance en tant que "travail", si elles se livreraient à la prostitution puisqu'elles considéraient que c'était une profession digne, elles m'ont répondu non. " C'est différent" affirment-elles ...
La prostitution, c'est pour les "autres" mais ces "autres" ne la pratiqueraient pas plus si elles avaient le choix. Alors, à qui profite-t-elle, cette activité ?


Un élément de réponse:
Ce sont les clients de la prostitution qui m'ont aidée à en prendre conscience. Je me suis déguisée en prostituée dans plusieurs pays pour discuter avec eux dans les bars. Un Américain m'a dit que les féministes avaient "abîmé le sexe pour les hommes", parce qu'elles voulaient l'égalité, alors que ce que les hommes veulent, en matière de sexe, c'est "'avoir le contrôle". J'ai donc commencé à poser à tous les hommes la même question sur ce contrôle. Et j'ai compris pourquoi tant d'Européens, d'Américains et de Canadiens font du tourisme sexuel en Amérique Latine et en Asie, en cherchant des femmes soumises, obéissantes: tout simplement pour retrouver le modèle machiste de la femme-objet.
Résumons: la prostitution n'est finalement assumée ni par les intellectuelles qui la défendent ni par les femmes qui la vivent mais est profitable au macho, furieux de l'égalité femmes/hommes qui s'amorce. Et certaines appellent ça un projet féministe, une émancipation de la classe des femmes. Personnellement, quand seuls les intérêts masculins sont défendus, j'aurais tendance à parler de masculinisme. La question du débat, pour ou contre, peut se poser mais elle oppose deux visions antinomiques et asymétriques: le féminisme (pour une égalité réelle entre les sexes) et le masculinisme (pour une inégalité marquée entre les sexes et un traitement différencié).

lundi 2 mai 2011

Désastre.s de la légalisation

Puisque nous sommes passé.e.s d'une polémique sur la pénalisation des prostitueurs à l'éloge de la légalisation de la prostitution, pourquoi ne pas regarder de plus près les bilans concernant cette dernière ? Le système suédois n'est pas parfait mais il reste quand même loin de ça:

- Les liens entre prostitution et crime organisé
Ils n’ont pas diminué. Des rapports australiens et néerlandais montrent au contraire que la légalisation, sous bien des aspects, a renforcé ces liens.
L’ONG Project respect estime que des bordels légaux du Victoria utilisent des femmes trafiquées. Un institut australien de criminologie évalue à un million de dollars par semaine les revenus de la prostitution illégale. Selon l’australienne Sheila Jeffreys, loin de faire reculer le crime organisé, la légalisation a entraîné une explosion des trafics criminels de femmes ; et des criminels condamnés conservent leur rôle dans le business, couverts par des personnes plus honorables.
En octobre 2003, la mairie d’Amsterdam a décidé de fermer la zone de tolérance ouverte à la prostitution de rue. Le maire a invoqué "un dilemme diabolique" en expliquant qu’il "apparaissait impossible de créer pour les femmes prostituées une zone saine et contrôlable qui ne soit pas récupérée par le crime organisé." En 2007, la municipalité d’Amsterdam se lance dans une profonde et coûteuse opération de rachat des bordels du quartier rouge afin d’amener la restructuration du quartier : un constat d’échec sans appel.
- L’industrie du sexe en pleine croissance
Alors qu’on a voulu contrôler l’industrie, on n’a fait qu’en encourager la croissance. Dans l’état de Victoria, les bordels légaux sont passés de 40 en 1989 à 94 en 1999.
Il semble que la légalisation ait fait la preuve de son échec pour éradiquer les trafics. Les premières raisons en seraient les difficultés de contrôle et le manque de moyens donnés aux autorités locales. Comme l’explique l’américaine Janice Raymond : "En Nouvelles Galles du Sud, les bordels ont été décriminalisés en 1995. En 1999, leur nombre à Sydney a augmenté de façon exponentielle jusqu’à 400/500. L’immense majorité n’ont pas de licence. Pour en finir avec la corruption endémique de la police, le contrôle de la prostitution illégale est passé de ses mains à celles des mairies ; celles ci n’ont jamais l’argent ni le personnel nécessaires pour envoyer des contrôleurs dans les bordels et poursuivre les opérateurs illégaux."
La légalisation des bordels place une charge administrative considérable sur les autorités locales. Bien qu’il soit exigé légalement que des inspecteurs contrôlent régulièrement les établissements, il est évident que c’est loin d’être toujours le cas.
- La prostitution illégale
Le problème inhérent à la légalisation est qu’il légalise un seul secteur de la prostitution. Quand ce secteur se développe, le secteur illégal en fait autant, que ce soit les bordels illégaux ou la prostitution de rue.
La légalisation ne fait pas disparaître la prostitution de rue ni les dangers qui y sont liés. On a même enregistré une augmentation significative dans le Victoria avec des niveaux plus élevés de viols et de violences.
De même, les bordels légaux tendent à être pris en main par les entrepreneurs de l’industrie du sexe et il n’est pas facile pour les femmes elles-mêmes d’organiser et de maintenir des collectifs de prostituées.
Les estimations de la police et de l’industrie du sexe légale établissent le nombre des bordels illégaux en Victoria à 400, soit quatre fois plus que les légaux.
De leur côté, les Pays-Bas ont souffert de divers inconvénients de la loi : le déplacement des lieux de prostitution vers des zones où les contrôles sont moindres ; le retour au secteur illégal d’opérateurs légaux qui ont fermé leurs établissements face aux obligations règlementaires ; l’utilisation de prête-nom par des exploitants connus de la police et donc dans l’incapacité d’obtenir des licences en leur nom propre.
- La prostitution des enfants
La prostitution enfantine a connu une croissance certaine ces dix dernières années aux Pays-Bas. L’organisation des droits de l’enfant à Amsterdam estime qu’il y a aujourd’hui plus de 15.000 enfants, en majorité des filles, dans la prostitution, soit une augmentation de +11 000 depuis 1996. 5000 d’entre eux proviendraient de l’étranger, notamment du Nigéria.
- Taxes et revenus, un solde négatif
L’évasion des taxes est la situation la plus courante. En Australie, sur 22 500 "travailleuses du sexe", 3.699 payaient les taxes légales selon une étude de 2002. On estime les pertes du gouvernement à 100 millions de dollars australiens par an. Aux Pays-bas, seulement 5 à 10% des prostituées paient les taxes légales, selon le centre d’information sur la prostitution d’Amsterdam (2003).

La situation pour les personnes prostituées

- Une violence omniprésente, endémique
La violence contre les femmes ne semble avoir diminué ni aux Pays-Bas ni dans le Victoria depuis la légalisation, et tout laisse même penser qu’elle a augmenté.
Un rapport de l’Institut Australien de Criminologie concluait en 1990 que beaucoup de prostituées couraient de grands risques de violence dans les bordels légaux.
Une étude de 1994 établissait qu’un pourcentage significatif de prostituées se sentait en insécurité avec les clients, parfois ou souvent. Dans les mêmes années, le Collectif de Prostituées de Victoria (PCV) recevait 15 plaintes pour viol et violences contre les prostituées chaque semaine. Beaucoup de femmes des bordels illégaux du Victoria disaient ne pas porter plainte auprès de la police, de peur d’être interpellées ou jetées en prison.
Une étude néerlandaise a montré que 79% des femmes en situation de prostitution disaient s’y trouver poussées par une forme ou une autre de contrainte (Institut de recherche socio-sexologique, 2000)
- La santé en péril
Depuis les changements légaux intervenus dans l’industrie du sexe dans le Queensland en 1992, les dangers semblent avoir augmenté dans ce domaine.
D’une part, le PCV, association d’aide aux prostituées, a montré que les contrôles accrus avaient poussé beaucoup de femmes dans le secteur illégal, où il y avait un risque plus grand d’infection par le HIV, et un accès limité au collectif et à son aide.
En 1990, un rapport de l’Institut Australien de Criminologie montrait que les femmes prostituées du secteur légal couraient de hauts risques d’infection au HIV à cause de la pression des clients mais aussi des patrons de bordels pour des rapports sans préservatifs. En 1998, une étude menée à Melbourne donnait le chiffre de 40 % de clients ayant des rapports avec des prostituées sans utiliser de préservatif.
Dans le Victoria, entre 2000 et 2002, on a enregistré une augmentation de 91% du nombre de femmes présentant une infection au HIV, pour une augmentation de 56 % dans la population globale.
- Le stigmate
La légalisation ne parvient pas non plus à régler le problème du stigmate qui pèse sur les personnes prostituées, malgré tous les arguments en ce sens.
Selon des prostituées néerlandaises, loin d’enlever le stigmate, la légalisation les rend plus vulnérables en les contraignant à renoncer à leur anonymat.
Selon une étude effectuée à Amsterdam, les prostituées qui se présentent comme des travailleuses indépendantes découvrent que les banques et les compagnies d’assurances leur refusent toujours leurs services.
Ainsi, bien que la question des droits des prostituées dans le cadre de leur travail soit souvent avancée comme une raison de légaliser, beaucoup de femmes ne se font pas enregistrer et continuent d’opérer illégalement.
- Et les clients ?
La légalisation encourage la demande ; on estime à 60 000 le nombre de visites aux bordels légaux dans le Victoria chaque semaine, pour une dépense moyenne de 7 millions de dollars. En 1983, il y avait 149 bordels connus dans cet état ; la police l’estime aujourd’hui à 95 légaux et 400 illégaux. Le nombre d’agences d’escorte est également en augmentation, on estime à 5000 le nombre de femmes y travaillant.
Selon l’association australienne PCV, un des pires aspects de la prostitution en bordel était la violence des clients (1999). Les femmes prostituées ont également constaté après la légalisation un comportement de plus en plus audacieux des hommes à leur égard.
Les bordels légalisés encouragent le tourisme sexuel. Amsterdam est ainsi la capitale de ce tourisme en Europe.
- L’aide aux personnes prostituées
Globalement, on estime que les criminels s’arrangent pour garder les prostituées hors du secteur légal, le gain financier étant plus conséquent. Cet éclatement des activités pose des problèmes pour l’application de la loi mais aussi pour fournir aux personnes prostituées aide médicale et services de travail social.
La normalisation conduit également à la réduction des services d’aide offerts aux personnes prostituées dans la mesure où les propriétaires de bordels ont tendance à les restreindre.
De plus, une enquête de 1990 de l’Institut Australien de Criminologie révélait que les femmes prostituées étaient sujettes dans les bordels légaux à un système d’amendes (que ce soit pour un retard ou des jambes non épilées...) et que les opérateurs prélevaient plus de 60 % des sommes versées par les clients.
- La sortie de prostitution
Le rapport australien montre que, malgré les promesses des municipalités, les stratégies promises d’aide à la sortie de prostitution n’ont pas vu le jour. Une recherche néerlandaise conclut en 2003 à une forte demande pour de tels programmes aux Pays-Bas : des prostituées des Pays-Bas souhaiteraient des programmes leur permettant de quitter la prostitution.
On peut penser que plus la légitimité de l’industrie avance, moins il existe de soutien pour les programmes permettant de quitter la prostitution. Il est clair en outre que bien peu de ces services sont proposés aux femmes hors rue, bien que deux tiers soient dans l’illégalité et que l’on sache qu’elles y vivent toujours sous contrainte.
Pour celles et ceux qui souhaitent poser un regard éclairé sur la situation: le rapport d'évaluation de la loi suédoise  que j'ai trouvé sur le très documenté blog de Lora et le texte en entier (dont est issu l'extrait ci-dessus) concernant le bilan de la légalisation.

lundi 25 avril 2011

Ce que vous ne lirez JAMAIS dans la presse

Parmi les nombreux mais invisibles témoignages de prostituées, il y a celui de Stéphanie qui se bat pour que sa parole, celle de ses soeurs de galère, soit reconnue et entendue:



J’aimerais débuter avec une citation tirée d’un livre qui m’a profondément marquée et qui, je suis certaine, est connu de toutes et de tous. Ce livre est Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée [1].
J’observe les autres filles. Presque toutes des gosses, comme moi. Je vois qu’elles sont bien malheureuses. Surtout les toxicos qui doivent se prostituer pour pouvoir se piquer. Je lis le dégoût sur leur visage chaque fois qu’un micheton les touche, et pourtant elles se forcent à sourire. Je les méprise ces types qui se coulent lâchement dans la foule de ce hall de gare, cherchant de la chair fraîche du coin de leur œil allumé. Des idiots ou des pervers, sûrement. Quel plaisir peuvent-ils éprouver à se pieuter avec une fille totalement inconnue, que visiblement ça dégoûte, et dont il est impossible de ne pas voir la détresse.
Il n’existe malheureusement pas de terme spécifique pour les hommes qui achètent des "services sexuels". L’utilisation généralisée du terme d’apparence neutre de "clients" contribue à renforcer l’invisibilité et l’impunité accordée aux hommes qui se donnent le droit d’acheter le corps des femmes. Ce terme banalise également les rapports de pouvoir qui sont au cœur de la prostitution et la double hiérarchie sociale qui en découle : la domination des hommes sur les femmes (l’assujettissement des femmes aux hommes) et celle des classes riches sur les classes pauvres. C’est pourquoi plusieurs groupes abolitionnistes dont, vous l’aurez deviné, la CLES, utilisent le terme plus juste de "prostitueur" ou "client-prostitueur" qui met en lumière le rôle de ces hommes dans le maintien de cette institution patriarcale.
Les notions de "consentement" et de "choix" individuel ont été récupérées par le puissant lobby des "travailleurs du sexe" qui revendique au nom de la liberté sexuelle le "choix" que feraient certaines femmes d’entrer dans le système prostitutionnel. Si certaines femmes font effectivement le "choix" d’entrer dans le système prostitutionnel, ce choix n’est pas lié à leur liberté sexuelle, mais plutôt à des besoins d’ordre économique (qui sont souvent influencés par la société de consommation, capitalisme oblige, dans laquelle nous vivons).
La prostitution n’est pas une question de choix individuel ou de liberté sexuelle, mais bien une question sociale puisqu’elle concerne l’ensemble des femmes qui deviennent dès lors potentiellement toutes des objets sexuels, des produits, des marchandises, que l’on peut acheter, vendre ou louer. La prostitution ne peut par conséquent être réformée dans le but d’améliorer les conditions de sa pratique.
Le lobby des "travailleurs du sexe" ne fait certes pas la publicité du fait que celui qui a le choix dans ce marché est le client-prostitueur, car c’est lui qui décide et impose ses désirs et fantasmes en "achetant" le consentement des femmes (l’argent a cette faculté magique). Les femmes n’entrent pas dans la prostitution par "choix", mais plutôt par manque de choix. Elles méritent de véritables choix et non pas ceux que leur imposent, par exemple, l’industrie du sexe d’avoir à choisir entre le bordel, la pornographie, la rue, les agences, les salons de massage ou les clubs de danseuses.
Je suis franchement écœurée et dégoûtée d’entendre dire que la prostitution est un choix libre et rationnel, voire une alternative économique souhaitable. Je ne pensais jamais faire ce que j’appelle mon "coming out" (c’est-à-dire, dire publiquement que j’ai "travaillé" dans cette violente et vorace institution patriarcale qu’est l’industrie du sexe) et ça été une décision très difficile parce que je l’ai caché pendant si longtemps.
J’en ai tout simplement marre (et je suis vraiment frustrée, car je n’en crois pas mes oreilles) de ces intellectuelles et de tous ces groupes pro "travail du sexe" qui parlent en mon nom, et au nom de toutes celles qui font ou ont fait partie de cette industrie, pour vanter les mérites du "travail du sexe" et expliquer que ce n’est pas la prostitution qui est un problème, mais les conditions dans lesquelles elle est pratiquée et ces supposés quelques (comprendre peu nombreux) "mauvais clients".
Les groupes pro "travail du sexe" s’improvisent porte-parole de toutes les femmes exploitées dans cette industrie, mais ils ne sont en fait que le porte-parole d’une minorité de femmes prostituées et ignorent la majorité, dont je fais partie, que l’on entend normalement pas et qui ne peut ou ne souhaite (de peur d’être reconnue, de peur d’être davantage stigmatisée, jugée, de peur des représailles, etc.) s’exprimer. Il faut rester extrêmement vigilant•e face à ce discours qui dissimule le silence et la réalité de plus de 90% des femmes exploitées dans cette industrie.
En ce qui a trait aux clients-prostitueurs, vous pouvez imaginer que je ne pense pas de gentilles choses d’eux, mais ne voulant pas offenser les hommes ici présents, je ne répéterai pas les mots qui défilent présentement dans mon esprit. J’ai également consulté une dizaine d’amies qui sont encore dans les clubs ou qui n’y sont plus. Elles n’ont, elles non plus, rien de positif à dire sur ces hommes sinon que ce sont des "portefeuilles" qui nous exploitent et profitent de nous. À ce sujet, une copine sexuellement exploitée dans les clubs de danseuses m’a dit : Les hommes sont avides de sexe et d’objets sexuels. Ils sont tous différents, mais leur but commun est de voir des filles nues et de les toucher. Beaucoup sont irrespectueux et prêts à se mettre dans les problèmes pour franchir les limites de l’interdit. En d’autres mots, c’est des hypocrites qui laissent leurs femmes à la maison et qui viennent toucher d’autres filles pour lesquelles ils n’ont aucun respect... C’est pitoyable !.
Il faut comprendre que les pratiques demandées par les clients-prostitueurs sont multiples en plus d’être déshumanisantes, dégradantes, violentes et dangereuses. Les clients-prostitueurs exigent, presque toujours, de ne pas porter de capote. Ils ont très souvent recours à la violence et veulent reproduire ce qu’ils voient dans la pornographie (relations sado-masochistes, double pénétration, relations avec deux femmes, etc.) Ils veulent toujours plus pour toujours moins, c’est-à-dire qu’ils utilisent le chantage ou tout autre moyen pour soit faire baisser le prix ou soit obtenir des "services" que les femmes ne veulent pas ’faire’ comme, par exemple, la pénétration anale.
La pornographie et les médias, en plus de toujours repousser les normes de ce qui est socialement acceptable, encouragent les clients-prostitueurs à faire de nouvelles expériences, à essayer de nouveaux produits (femmes exotiques, transexuelles, enfants, etc.), à transgresser les limites de ce qui est possible ou permis. C’est pourquoi ils exigent et exploitent des femmes de plus en plus jeunes et considèrent que la "chair fraîche" est meilleure. Ils désirent vivre de multiples expériences, dont la plus récente et la plus promue par les agences d’escortes et les médias est la girlfriend experience (GFE) qui leur permet de passer un moment avec une femme qui prétendra être leur copine. Ce qui veut simplement dire qu’avant de baiser, ils iront au cinéma, au restaurant, etc.
Dans les clubs de danseuses, il est maintenant légalement possible, et socialement très accepté, de toucher les seins, les fesses, les jambes et les bras, c’est-à-dire la presque totalité du corps de ces femmes, à l’exception de leur partie génitale. Cette légalisation a entraîné de graves conséquences pour les "danseuses" en plus d’entraîner d’énormes transformations quant aux conditions de travail. Les "danseuses" sont dorénavant exposées quotidiennement à la violence sexuelle : elles se font embrasser, "lécher" "sucer" les seins, toucher les parties génitales, mordre, griffer, gifler, etc. Cette violence est pourtant banalisée, normalisée et comprise comme faisant partie du métier.
J’ai "dansé" sur une période s’échelonnant sur près de 14 ans et jusqu’à récemment je "dansais" encore. Je suis sidérée par la banalisation spectaculaire de cette industrie. "Danser" est aujourd’hui si banal et si glamour qu’on encourage fortement les femmes et les jeunes filles à aller essayer ou même à y "travailler" pendant leurs études.
Les médias et la culture populaire (la musique, la télévision, le cinéma, la radio, Internet) y font fréquemment référence et les clubs sont vus comme un lieu d’émancipation pour les femmes. On peut y garder sa forme physique (on fait de plus en plus la promotion de la danse-poteau). On peut être subversive en renversant les rôles de pouvoir (ce sont les femmes qui profiteraient supposément des hommes) et assez ridiculement, les femmes n’auraient plus besoin d’étudier en gestion, puisque "danser" permettrait aussi d’acquérir et développer d’habiles stratégies et techniques de vente empruntées directement au monde du commerce.
Mais sur quelle planète vivent-elles-ils ? La prostitution (danser), un métier comme un autre ? Mais elles-ils sont folles-fous, complètement taré.e.s.
J’aimerais vous rappeler, en citant l’extraordinaire Andrea Dworkin, ce qu’est la prostitution. Et le plus beau cadeau que vous pourriez me faire aujourd’hui est de conserver précieusement cette citation dans votre mémoire :
La prostitution : qu’est-ce que c’est ? C’est l’utilisation du corps d’une femme pour du sexe par un homme ; il donne de l’argent, il fait ce qu’il veut.
Dès que vous vous éloignez de ce que c’est réellement, vous vous éloignez du monde de la prostitution pour passer au monde des idées. Vous vous sentirez mieux ; ce sera plus facile ; c’est plus divertissant : il y a plein de choses à discuter, mais vous discuterez d’idées, pas de prostitution. La prostitution n’est pas une idée.
Comme l’a si merveilleusement exprimé Andrea, la prostitution est évidemment beaucoup plus facile à théoriser qu’à "exercer". Allez donc vous jeter dans cette industrie aux appétits vampiriques et revenez m’en parler par la suite, on verra bien ce que vous aurez alors à en dire.
Vous pouvez lire également ce qu'en disent Laurence, Fiona, Noémie, Myriam, Clara, Eliane, Julien, Raphaël, Naïma, Alicia, Anaïs, Laldja, Paolo, Aïssa, Adriana, Roselyne, Mylène, Monika ou Nadine.

mercredi 20 avril 2011

Les "clients" tremblent pour leurs petits privilèges

Texte de Claudine Legardinier publié dans Prostitution et Société. Avril 2011.

La pénalisation du prostitueur est inscrite dans une logique
progressiste : celle qui exige d’en finir avec les violences et
d’avancer vers l’égalité entre les femmes et les hommes. N’en déplaise
à tous les nostalgiques d’une France d’un autre âge excitée par le
frisson sulfureux des bordels et de la fille au trottoir.

400 pages détaillées, un projet politique cohérent, un courage
certain. Le rapport « L’exigence de responsabilité, en finir avec le
mythe du plus vieux métier du monde » constitue une avancée que nous
saluons.

Malheureusement, qu’en retiennent les médias et la rive gauche ? La
pénalisation des "clients", ceux qu’il est plus juste d’appeler les
prostitueurs pour leur rendre une visibilité qu’ils ont pris soin de
fuir pendant des siècles, jugeant plus commode de voir reporter la
"faute" sur celles qu’ils exploitaient. Un comédien riche et célèbre
profite de sa notoriété pour défendre ce qu’il considère apparemment
comme un droit de l’homme fondamental : le droit d’aller aux putes. On
a les combats que l’on peut.

Les violences subies par les prostituées, la peur au ventre, le valium
pour y aller, la traite des femmes et des gamines sur qui pèse la
survie des familles, qu’importe. On brandit ces étendards que sont "la
liberté individuelle" (la liberté de qui ?), on passe un peu de cirage
aux "femmes remarquables" que sont les prostituées. Sur ce point, nous
sommes d’accord, étant donné ce que proxos et "clients" leur font
subir. Car les prostitueurs sont les premiers agresseurs des personnes
prostituées qui vivent dans la crainte permanente de « tomber sur un
cinglé ». Violences, menace de violences, mépris, humiliations,
arnaques… C’est donc ce droit là qu’il faudrait défendre ?

Ce que ces messieurs exigent - quitte à le faire au nom du féminisme !
-, c’est le droit de passer leurs caprices sur le corps d’une femme,
d’en faire un territoire de défoulement, de continuer à faire leur
choix dans un immense magasin de jouets. Ce qu’ils revendiquent, c’est
une institution qui remet les femmes à leur place : au lit, pour leur
bon plaisir. Et sans compte à rendre.

Tous les arguments sont bons : misère sexuelle, solitude (ce que
réfutent les enquêtes qui montrent que le client est majoritairement
un homme lambda, marié et père de famille), clandestinité (désormais
surtout due au recours à Internet et au téléphone portable), risques
sanitaires.
Les pro prostitution, qui ont appuyé leur lobbying sur la lutte contre
le sida, ont surtout travaillé à banaliser le concept de "travail du
sexe", dont on voit le résultat en Europe : une explosion des bordels
industriels à haut débit où des centaines de femmes (de préférence
étrangères) sont livrées en pâture aux appétits sexuels prétendument
incontrôlables des hommes.

Il est temps de sortir de la complaisance. Une complaisance qui n’est
pas sans rappeler celle qui, il y a peu, entourait encore d’une
curieuse indulgence les chauffards. Comme les « accidents de la route
», tenus jadis pour une fatalité, sont devenus « la violence routière
», la prostitution est en train de se muer en « violence
prostitutionnelle ». Comme le mauvais conducteur a désormais à
répondre de son comportement, le client prostitueur, qui nourrit un
immense marché aux femmes, est aujourd’hui placé en face de ses
responsabilités.

Ce pas en avant est décisif pour nous qui travaillons à faire reculer
toutes les violences contre les femmes. Violences qui tiennent
ensemble : car s’il faut sauver le droit du prostitueur, il convient
en toute logique de dépénaliser le violeur, mu lui aussi par des
pulsions irrépressibles. Personne ne songerait à le faire, nous
l’espérons. En réalité, le séculaire droit sexuel masculin a du plomb
dans l’aile. Après la remise en cause du droit de cuissage (droit
obtenu par le pouvoir), du viol (droit obtenu par la force), vient en
toute logique la prostitution (droit conféré par l’argent).

La pénalisation du prostitueur constitue un élément parmi d’autres
d’une politique cohérente destinée à faire reculer l’une des plus
vieilles exploitations du monde. Vingt neuf autres mesures, dont
personne ne dit mot, sont préconisées par ce rapport très riche qui
mise sur la tombée en désuétude de la loi LSI sur le racolage :
mesures sociales, pédagogiques, lutte contre le sexisme, papiers pour
les prostituées étrangères, etc.

La pénalisation du prostitueur, qui n’en est qu’un maillon, est
inscrite dans une logique progressiste : celle qui exige d’en finir
avec les violences et d’avancer vers l’égalité entre les femmes et les
hommes. N’en déplaise à tous les nostalgiques d’une France d’un autre
âge excitée par le frisson sulfureux des bordels et de la fille au
trottoir.
Claudine Legardinier est journaliste, spécialiste des droits des femmes et de l'égalité des sexes et auteure, entre autres, d'une grande enquête sur les clients de la prostitution en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama.

samedi 16 avril 2011

Prostituées: les grands principes valent plus que leur peau

Je suis abolitionniste parce que j'aime les femmes, parce que leur souffrance me touche et me concerne, parce que la sexualité des hommes ne passera jamais devant les dommages subis par ne serait-ce qu'une seule femme au nom de cette sexualité, parce que je suis féministe.

On peut me dire ce qu'on veut: rien ne résiste à ce que rapporte celles et ceux qui cotoient les prostituées de près. Des femmes (et des hommes) souffrent, je ne verrai jamais rien d'autre que ça.

La souffrance des prostituées, de nombreux rapports en font part mais peu s'en soucient. On leur préfère les débats sur la liberté et la morale, le témoignage d'une romancière qui fait son intéressante (et plein de fric) sur le dos de celles qui, une fois la brèche ouverte, parlent de désespoir ou encore les vantardises déplacées d'un misogyne qui s'assume même pas dans un journal de machos décomplexés.

La docteure Judith Trinquart soigne les prostituées. Et si on écoutait ce qu'elle en dit ?

        Quels sont les besoins de santé réels de cette population ? 

Lorsqu’il est possible de s’isoler, on voit remonter une série de problèmes de santé, des séquelles de traumatismes anciens, aussi bien psychiques que physiques, des états infectieux, des dépistages négligés ; on constate une précarité de la santé mentale, des états dépressifs, des angoisses, des phobies... Il y a une grande autonégligence et un seuil de tolérance à la douleur effroyable.

Je me souviens d’un entretien avec une jeune femme toxicomane séropositive qui avait été obligée d’abandonner son enfant. Venue pour une entorse à la cheville, elle a complètement craqué ; elle a dit son désespoir de ne plus voir son enfant, la cruauté du milieu, son incroyable violence. A peine le petit espace d’intimité franchi, elle est repartie sourire aux lèvres, sans même boiter sur ses talons de 8 centimètres. La coupure était nette : surtout ne pas se montrer défaillante face aux animatrices, face aux copines. On en reste donc là.

Ce qui est également frappant, c’est que les personnes semblent plus en demande d’être « réparées » que soignées. Ce qui leur importe, c’est que la mécanique nécessaire à la prostitution continue de fonctionner. On ne sent pas d’irruption de la vie privée, de la personne, de désir de bien-être ; tout est rapporté à l’activité prostitutionnelle, au fait que le corps ne sert qu’à gagner de l’argent.

On a l’impression d’une carcéralité psychique, d’un enfermement dans un système ; ce qui n’entre pas dans ce système n’existe pas. On retrouve ces mêmes symptômes, qui font partie d’une stratégie de survie, chez d’autres populations victimes de violences, comme les femmes victimes de violences domestiques.

- Ce mauvais état de santé est-il en lien avec l’activité prostitutionnelle ?

Ces personnes vivent une dissociation profonde. Du fait qu’elle impose des actes sexuels non désirés à répétition, la prostitution engendre une forme d’anesthésie, d’abord au niveau de la sphère génitale, sexuelle, la plus exposée. Plus l’activité prostitutionnelle se prolonge, moins ce processus d’anesthésie est maitrisé, plus il devient réflexe ; peu à peu, il gagne l’ensemble du corps et les moments où la personne désirerait avoir des émotions, des affects.

C’est cette anesthésie, cet ensemble d’atteintes du schéma corporel, ce que j’appelle la « décorporalisation », qui conduisent à une grande autonégligence en matière de soins. Or, ce que défend la santé communautaire, c’est l’idée que l’aménagement des conditions de la prostitution, ou sa professionnalisation, règlerait les problèmes de santé. Mais ce ne sont pas ces conditions - même si bien sûr des violences de toutes sortes se surajoutent - mais bien la pratique prostitutionnelle en elle-même qui engendre ces symptômes.

- Que faire pour ces personnes ?

Si elles sont capables de supporter des situations de violence que personne ne pourrait tolérer, c’est qu’il s’agit pour elles d’un moyen de se cacher la violence antérieurement subie. Cette parole peut d’autant moins se libérer que la première personne à qui il faut cacher cette violence, c’est soi-même. Quand on a par exemple une suspicion d’antécédents de violences sexuelles, sujets qui ne peuvent être abordés dans les bus, il faudrait orienter les personnes vers des lieux d’écoute.

Ces lieux existent. Beaucoup d’associations font un travail remarquable. Ce qui manque, c’est une mise en réseau de l’ensemble des ressources. C’est aussi une formation élémentaire pour les professionnels du champ sanitaire, social et juridique ; la méconnaissance des antécédents et de la situation prostitutionnelle, de ce qu’elle représente au niveau du corps et du psychisme, est un énorme obstacle à une prise en charge de qualité.

Il faut des moyens et des ressources, proposer des solutions à long terme ; ne pas se contenter de faire de la réduction des risques, mais proposer des suivis psychothérapiques, des personnes accompagnantes, des formations adaptées pour les personnes prostituées.

- Et à long terme ?

Miser sur l’éducation à la sexualité, à l’humanité, à la communication, à la relation humaine. Il y a des pathologies différentes chez les clients, mais il s’agit le plus souvent d’une pathologie de la communication et de la relation homme/femme. L’éducation est à commencer le plus tôt possible, afin de faire comprendre que le recours à la prostitution n’est pas une forme de sexualité mais une violence.

Tout est rapporté au fait que le corps ne sert qu’à gagner de l’argent. On a l’impression d’un enfermement dans un système ; ce qui n’entre pas dans ce système n’existe pas.

Mais l’éducation ne suffit pas. Il manque, à l’image de l’expérience suédoise, des mesures coercitives pour faire comprendre qu’acheter ou louer le corps d’autrui dans la prostitution constitue une transgression. Par ailleurs, il ne faut pas s’arrêter à la barrière virtuelle des 18 ans. Il est temps d’être cohérent et cesser d’affirmer que la pédophilie est un acte horrible tout en continuant d’encourager la prostitution, présentée comme fonction sociale bienfaisante alors qu’elle n’est qu’un système de recyclage de ces violences.

On ne peut pas se battre contre l’inceste et la pédophilie si on pérennise le système prostitutionnel et si on autorise les gens à faire sur des adultes ce que l’on interdit sur des enfants. C’est une hypocrisie ; on reprend d’une main ce que l’on donne de l’autre.
        Interview issue de Prostitution et Société numéro 138 juillet – septembre 2002